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Le studio du tueur
15 septembre 2009

Maintenant vous saurez.

  Pour ma première victime j’étais encore assez hésitant et j’ai voulu savoir son nom. Je l’ai trouvé dans son portefeuille, simplement en tâtant ses poches. Bien sûr je ne peux pas le recopier ici, question de prudence. En plus je ne suis plus totalement certain du prénom, j’hésite entre deux souvenirs. Si ça se trouve ils sont tous les deux faux.

   Dès la deuxième victime cette histoire de nom et tout ça ne m’a plus vraiment intéressé. Je ne dis pas, parfois il m’arrive de tomber sur le nom de l’une d’entre elles et c’est toujours tentant de le lire, voire de le retenir quelques heures ou quelques jours, mais c’est tout. La plupart du temps, maintenant, je tue ma victime et puis je rentre chez moi me lire un livre ou manger un coup.

   La plupart des tueurs se font prendre à cause de ça. Pas spécialement à cause des noms je veux dire, mais de tout le côté « collectionneur taré ». Ils sont toujours là à attaquer des filles entre dix-sept ans trois mois et dix-huit ans cinq jours, à collectionner des mèches de cheveux, à laisser des messages cryptés sur les répondeurs des policiers, à se branler dans les culottes de leur mère décédée ou je ne sais quoi.

   Bon, en fait je n’en sais rien. C'est probablement qu'un truc que j'ai vu dans des films de merde. Parce qu’un autre truc, c’est que les tueurs sont en général fascinés par les tueurs. Je ne le suis pas. Mon but n’est pas de me faire prendre. Pas pour l’instant en tout cas. Et je ne dis pas ça parce que j’aurais prévu de me faire prendre dans deux ou trois ans ou quoi, hein, c’est juste que, je veux dire, qui peut vraiment savoir ce dont il aura envie plus tard ?

   Enfin si, des gens le peuvent. Je me souviens d’un ami que j’avais depuis la primaire et que j’ai côtoyé jusqu’au lycée. Pour une raison que je n’ai jamais comprise et ne comprend toujours pas, il a, tout ce temps, parlé du fait que « plus tard il serait comptable ». Bah aux dernières nouvelles, il est devenu comptable. Je ne suis pas sûr que sa conviction aurait été aussi suffisante si son rêve de grandeur avait été de devenir astronaute ou rock-star, cela dit.

   Revenons aux tueurs merdiques et à mes victimes.

   Je digresse beaucoup, cela risque vite d’être un problème pour vous. Veuillez m’en excuser par avance. Cependant, on peut prendre cette mauvaise habitude pour un autre élément allant dans le sens de ma supériorité sur les autres tueurs en série. Je ne suis pas là à tout le temps parler de mes meurtres et et de comment je fantasme trop sur les corps en sang ou quoi.

   Oui, ok, « tueurs en série », d’accord, je l'ai dit, l’expression est lancée ; mais je ne suis pas un tueur en série qui tue « en série ». Je m'explique : mes victimes ont n’importe quel âge, n’importe quel sexe, n’importe quelle putain de couleur de cheveux, n’importe quelle couleur de peau, elles viennent de n’importe quel milieu, je les tue n’importe où et n’importe comment, et le seul lien entre elles toutes, c’est que rien ne les relie à moi. Si je bosse bien, d’ici quelques années la police pourra m’avoir par élimination : je serai le seul type en France qu’elle n’aura jamais interrogé.

   Depuis que j’ai commencé à tuer, il y a un peu plus d’un an, j’ai fait dix-neuf victimes. Je crois que ça fait de moi un sacré putain de morceau dans l’histoire française des tueurs en série ; sauf que pour la police mes dix-neuf meurtres ne sont aucunement liés. Il faut dire que c’est normal, je ne dis pas du tout que la police fait du mauvais boulot ou quoi : j’ai un jour tué un type en l’étranglant quelque part dans des champs de l’est de la France, et un autre jour j’ai poignardé à quelque chose comme dix reprises une jeune femme dans une ruelle parisienne. Une grosse histoire ce meurtre-ci, je vous en parlerai plus en détails un autre jour. D'ailleurs j’ai lu dans les journaux que la jeune femme se serait faite violer le soir du meurtre, alors la police part du sperme retrouvé pour coincer un coupable. Or, je n’ai jamais violé personne. Je me demande donc si 1) cette histoire est vraie et 2) dans le cas où elle l'est, si la fille s’est faite violer avant ou après que je la tue. C’est triste mais je pense que c’est après. Elle semblait plutôt joyeuse avant que je ne la poignarde. La police doit le savoir, je veux dire, ces tonnes de séries qui passent tout le temps n’arrêtent pas de nous dire qu’ils ont des labos super sophistiqués et tout ça, alors ils doivent bien pouvoir dater un sperme, non ? En tout cas rien n’a été dit dans les journaux à propos de ça.

   Au-delà du fait qu’officiellement je ne sois pas un « tueur en série », je trouve que dix-neuf meurtres en un an c’est moyen, ça ne fait même pas deux meurtres par mois. Je veux dire, qu’est-ce que je fais le reste du temps ?! Enfin, ça je le sais, je suis chez moi, je joue à la Playstation, je bosse, je mange, je dors, je lis, je me ballade, tout ça. Mais j’aurais quand même pu faire mieux. Parfois je me dis que c’est juste parce que c’est mes débuts, mais enfin, c’est une excuse qui ne va pas tenir une deuxième année…

   En plus est-ce que ça fait vraiment de moi un poids lourd du meurtre ? Un moment j’ai essayé de me renseigner sur les palmarès français, Guy Georges, Emile Louis, Francis Heaulme, tout ça, mais ça m’a très vite déprimé et j’ai abandonné au bout de dix minutes. L’idée d’être l’un de ces types obsédés par le sujet et se repassant le dvd de « Seven » tous les dimanches soirs m’a fait honte. Hors de question que je sois comme ça. D’ailleurs je n’ai pas eu à me forcer, je ne le suis véritablement pas. Aucun film de tueur en série ne m’a jamais passionné. De manière générale je n'adore pas les films. Il m'arrive d'en regarder, d'accord, mais je n'adore pas.

   Revenons au sujet. Il y a en France une moyenne d'un millier de meurtres avérés par an, à peu près. A ça s'ajoute environ dix-milles "disparitions inquiétantes", comprennez par là qui ne sont pas des fugues. Parmis ces dix-milles disparitions, je pense qu'on peut estimer qu'environ un tiers est, ou se solde, par un meurtre. N'hésitez pas à me corriger si vous pensez ce chiffre faux. Pour le moment je vais considérer qu'il est bon, et estimer qu'il y a environ quatre-mille-trois-cent meurtres par an en France. Alors avec mes dix-neufs victimes, je vais pas tellement loin, quoi. Sauf que. Sauf que les Emile Louis, Guy Georges et compagnie n'ont pour la plupart pas fait aussi bien. Alors je ne sais pas. Peut-être que je pèse un peu quand même.

   Ce n'est pas la recherche de la performance et du score qui m'a fait tuer la première fois. Le pas a été difficile à faire, je ne vous le cache pas, mais ça s'imposait. Ma vie est horrible. Ordinairement horrible, je veux dire, je n'ai pas de tragédie marchant dans mon ombre ni rien, je suis simplement tellement ordinaire que rien ne peut avoir de sens. Je crois que si quelqu'un se contente d'exister, de manger, marcher, travailler, baiser, chier, dormir et recommencer, alors autant qu'il meure. Autant que nous mourrions tous. Certaines personnes méritent peut-être de vivre : celles qui travaillent à des choses faisant clairement avancer l'espèce humaine comme, je ne sais pas, la recherche spatiale, les sciences physiques. Les artistes, également, même ceux qui ne sont pas géniaux. Pouvoir cultiver un terrain qui n'existait pas avant qu'on l'invente, je trouve ça bien. Les écrivains, les peintres, les musiciens... Je ne les adore pas ni rien, mais je trouve ça pas mal. Ca donne un sens au quotidien.

   Mais pour la plupart d'entre nous, quoi ? Il n'y a rien. Faire des enfants, à la rigueur, mais ça me paraît vain, simplement faire en sorte que les choses puissent continuer, même si les choses ne sont rien. Je n'ai pas d'enfants, je ne sais pas. Je n'ai rien. Une trentaine d'années, un studio minuscule, un boulot sans intérêt qui me prend trois jours par semaine, rien. Jusqu'à ce que j'aie dix-neuf meurtres à mon palmarès. Je ne sais pas si je suis un artiste, mais je sais que ça donne un sens à ma vie. Et à celles de mes victimes.            

   En fait je crois que c’est là l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à tuer : faire comprendre au monde que tout ça n’était pas vraiment très important. Tuer n’est pas très grave. On a sacralisé la vie et tout ça, mais pour quelle raison exactement ? Sérieusement, qui peut me répondre à part des religieux ? A la rigueur si vous êtes religieux d’accord. Je respecterai votre sacralisation de ceci ou de cela (l’un des deux au moins étant donc la vie humaine). Mais si vous ne l’êtes pas, franchement ? Pourquoi une vie humaine serait-il quelque chose de si sacré ? On n'en fait rien du tout, pire, on rend le reste encore pire le long de notre existence.

   Tous les jours des gens meurent et, ô surprise, la plupart d’entre eux sans jamais avoir fait quoique ce soit qui puisse marquer quiconque après leur mort, si ce n’est quelques proches sans plus d’intérêt. La vie humaine la plupart du temps, c’est juste une suite de jours, de salaires, d’ambitions de plus en plus ridicules, de rapports sexuels ratés et de phrases creuses. Pour un type qui va composer un disque ou envoyer une fusée dans l'espace, y’en aura dix-milles (peut-être cent-milles, un million même) qui se foutront un pouce dans le cul et regarderont un jeu télévisé en attendant d'avoir sommeil. Et même le type qui a écrit le livre ou envoie la fusée, finalement, quelle différence ? Qui s'y intéressera ? Pas les dix-milles types avec un pouce dans le cul, en tout cas.

   Mais en fait ce n’est pas vraiment tout ça que je voulais dire. Pas que ça, en tout cas. Quand je dis que tuer n’est pas très grave, c’est aussi parce qu’il est temps de reconquérir nos vies et nos corps. Je veux dire, qui sait tuer quelqu’un ? Qui sait mourir ? On vit dans une espèce de flou total au sujet d’un truc quand même assez important, quoi. Tuer des gens est aussi une manière de dire « Hé, il est possible de faire ça, physiquement possible, oubliez le reste et vous verrez, ce sont des gestes simples, compréhensibles par tous ».

   Les raisons pour lesquelles je tue sont :

   1) effacer la médiocrité de ma vie.

   2) donner un sens au reste.

   3) d'ici quelques temps, me faire connaître.

   4) l'argent.

   Bon j’ai assez écrit pour ce midi. Je reviendrai bientôt pour parler de tout ça, et de pourquoi j’en parle. Je ne voulais pas faire ça dès le début, ça me paraissait cliché. En deuxième chapitre, ça me semble moins prévisible.

   Même si maintenant vous êtes au courant.

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